Camus
« Nos plus grands moralistes ne sont pas des faiseurs de maximes, ce sont des romanciers. Qu’est-ce qu’un moraliste en effet ? Disons seulement que c’est un homme qui a la passion du cœur humain. Mais qu’est-ce que le cœur humain ? Cela est bien difficile à savoir, on peut seulement imaginer que c’est ce qu’il y a de moins général au monde. C’est pourquoi, et malgré les apparences, il est bien difficile d’apprendre quelque chose sur la conduite des hommes en lisant les maximes de La Rochefoucauld. Ce bel équilibre dans la phrase, ces antithèses calculées, cet amour-propre érigé en raison universelle, cela est bien loin des replis et des caprices qui font l’expérience d’un homme. Je donnerais volontiers tout le livre des Maximes pour une phrase heureuse de La Princesse de Clèves et pour deux ou trois petits faits vrais comme savait les collectionner Stendhal. » (Œuvres complètes, T.1, Gallimard, coll. La Pléiade, p.924)
Nous sommes en 1944, et Camus est en train de travailler sur La Peste, qui paraîtra en 1947 -la même année que Si c’est un homme, de Primo Levi- roman qu’il avait déjà en tête lorsque paraissait L’Etranger, au milieu de la tourmente. Dans La Peste la réflexion sur « le cœur humain », précisément, n’est pas absente. Cette réflexion, réflexion morale, est présente quasiment à toutes les pages, puisque les personnages sont autant de « symboles », de facettes de ce cœur humain : Rieux et la vigilance inquiète, Rambert et la question du bonheur, Tarrou et la révolte contre l’injustice,