Candide
[Bref rappel des faits, ou « Jusqu’ici tout va bien »]
L’ironie de « Candide », tout le monde le dit avec raison, est dirigée contre la philosophie de Leibniz. L’identité de l’adversaire de Voltaire ne laisse aucune place au doute : les références à certains éléments de la doctrine leibnizienne parcourent l’ouvrage, et dans les dernières pages on trouve même le nom de Leibniz explicitement convoqué par Pangloss (le professeur de Candide) qui se revendique son disciple.
Génie polymorphe, à la fois juriste, mathématicien (à qui on doit l’invention du calcul infinitésimal) et philosophe illustre, Leibniz rédigea en français, à la fin de sa vie, un essai qu’il baptisa du néologisme de « Théodicée » (signifiant « Justice de Dieu »). Cet ouvrage, duquel Voltaire tire vraisemblablement ce qu’il sait de la théorie leibnizienne, a pour objet de plaider la cause de Dieu. Il entend le disculper de la présence du mal dans le monde — présence qui, en tant qu'elle paraît contredire la bonté et la justice attribuées à Dieu, est éminemment problématique aux yeux des théologiens.
La réponse de Leibniz à ce problème classique est simple, et presque irréfutable : il identifie le mal à un élément nécessaire à la bonté de l’univers dans sa totalité. L’idée est que les maux locaux (l’esclavage, les deux guerres mondiales, la Tecktonic, etc.) concourent à l’harmonie de l’ensemble de l’univers. Autrement dit, ce qui semble un mal à un regard borné, ne voyant guère plus loin que le présent, est en vérité un bien du point de vue du Tout — point de vue auquel l’intelligence humaine ne peut