Charles de gaulle
Le politique et l’épique sont ordinairement voués à s’opposer, parce qu’ils renvoient à deux conceptions radicalement différentes de la destinée humaine. En politique, l’efficacité est avant tout recherchée : le destin de la Cité repose entre les mains des décideurs, qui possèdent le pouvoir et en usent pour façonner l’Histoire en fonction de leurs vœux. Parce qu’elle s’attache à la réalité concrète (celle de l’Etat), la politique est science de la matière ; Charles de Gaulle le proclame lors d’une conférence de presse : « Il n’y a pas de politique qui vaille en-dehors des réalités »1, puis quelques années plus tard dans une allocution : « La politique n’est rien d’autre que l’art des réalités »2.
Quand la primauté est accordée au politique, l’action s’adapte aux contingences avant même d’obéir à l’Idée qui la légitime. En effet, rappelle André Malraux, « le problème principal, c’est d’abord de pouvoir agir. On peut toujours dire qu’il existe une terre de la félicité. Cela n’a d’intérêt que si l’on peut prendre un bateau pour y aller »3. La volonté d’action doit obéir à des valeurs, à une ligne directrice qui répond à un idéal de vie pour l’homme, mais au préalable elle repose sur l’appréhension de la réalité.
A l’inverse, l’épopée privilégie l’idéal et ses aspirations sur la réalité. Le héros épique doit combattre, mais l’issue de la bataille importe peu : il suffit que soit préservée la vision du monde sur laquelle repose l’épopée, et qui renvoie à un certain nombre d’exigences – la courtoisie, l’honneur, la fidélité. A condition de respecter ces exigences, le héros reste un héros même dans la défaite, pourvu qu’il se soit montré digne au combat.
Paradoxalement, les mêmes orateurs Charles de Gaulle et André Malraux se situent de façon récurrente dans une perspective épique. Leurs discours renvoient à une éloquence de combat, parce qu’ils interviennent à des moments de