Chatelet
SGANARELLE: Ah! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal l'oppresse-t-il beaucoup?
GÉRONTE: Oui, Monsieur.
SGANARELLE: Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs?
GÉRONTE: Fort grandes.
SGANARELLE: C'est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez?
GÉRONTE: Oui.
SGANARELLE: Copieusement?
GÉRONTE: Je n'entends rien à cela.
SGANARELLE: La matière est-elle louable?
GÉRONTE: Je ne me connois pas à ces choses.
SGANARELLE: se tournant vers la malade. Donnez-moi votre bras. Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.
GÉRONTE: Eh oui, Monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.
SGANARELLE: Ah, ah!
JACQUELINE: Voyez comme il a deviné sa maladie!
SGANARELLE: Nous autres grands médecins, nous connoissons d'abord les choses. Un ignorant auroit été embarrassé, et vous eût été dire: «C'est ceci, c'est cela»; mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.
GÉRONTE: Oui; mais je voudrois bien que vous me puissiez dire d'où cela vient.
SGANARELLE: Il n'est rien plus aisé: cela vient de ce qu'elle a perdu la parole.
GÉRONTE: Fort bien; mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu la parole?
SGANARELLE: Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue.
GÉRONTE: Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de tirer de sa langue?
SGANARELLE: Aristote, là-dessus, dit... de fort belles choses.
GÉRONTE: Je le crois.
SGANARELLE: Ah! c'étoit un grand homme I
GÉRONTE: Sans doute.
SGANARELLE: levant son bras depuis le coude. Grand homme tout à fait: un homme qui étoit plus grand que moi de tout cela. Pour revenir à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue est causé par de certaines humeurs, qu'entre nous autres savants nous