Cicéron
Homme d’État, orateur prodigieux, théoricien de l’éloquence, mais aussi philosophe, Cicéron a été victime, aux yeux de la postérité, de tous ses dons; il a été surtout victime du fait d’être devenu trop tôt, de son vivant même, un auteur «classique» et scolaire, faisant toujours un peu figure d’écrivain égaré dans la politique. Une tradition moderne, qui remonte à Mommsen, a, de parti pris, tenté de condamner l’homme privé et public, de décrier le politicien et même de rabaisser le philosophe qui ne serait qu’un «adaptateur» brillant et superficiel: Cicéron, s’il a des amis, a toujours beaucoup d’ennemis. Une «réhabilitation», comme voudraient la tenter les auteurs de cet article, serait de peu d’intérêt s’il ne s’agissait que de défendre une mémoire. Il est plus intéressant de montrer que cette réhabilitation permet d’écarter plusieurs contresens invétérés, concernant aussi bien la carrière, l’action politique, l’œuvre théorique que la philosophie de Cicéron. Du coup, on lui restitue une dimension, une cohérence, une humanité qui justifient son prodigieux succès culturel: car sur lui repose en partie l’«humanisme». Il est intéressant aussi de savoir que cette tradition qui traite l’homme, le politique et le penseur avec tant de désinvolte mépris a été systématiquement forgée par ceux-là mêmes qui l’avaient assassiné – Octave et ses complices – assassinant, du même coup, les libertés romaines.
1. L’homme d’État
Marcus Tullius Cicero est né à Arpinum, en pays volsque, à une centaine de kilomètres à l’est de Rome. Sa famille, fort honorable, appartenait à l’ordre équestre et comptait des magistrats municipaux et des officiers supérieurs de l’armée; elle était en outre directement alliée avec celle de Marius qui gérait alors son deuxième consulat. Son grand-père, son père et ses oncles, particulièrement cultivés, entretenaient des relations avec les plus grands orateurs et les plus grands juristes de Rome, Marc Antoine, le