Colette
| | L’Enfant de l’Ennemi |
| |24 mars 1915. |
|1. |Il va bientôt paraître au jour. Encore enfermé, palpitant à peine, il est déjà présent. Des journaux ont appelé, sur lui, tantôt la|
| |mansuétude et tantôt l’exécration. Les uns l’ont nommé « l’innocent », et nous ont fait de lui une peinture bien gênante, entre une|
| |mère pardonnée et un soldat français miséricordieux... Mais on l’a traité aussi d’ivraie empoisonnée, de crime vivant, et on l’a |
| |voué à l’obscur assassinat... |
|5. |Les deux camps en sont là. Nous aurons bientôt les conférences sur l’Enfant de l’Ennemi... Cela est d’une tristesse affreuse. |
| |Pourquoi tant de paroles, tant d’encre répandues sur lui, et sur sa mère humiliée ? |
| |− Mais il faut bien conseiller, guider ces malheureuses qui... |
| |Non. Elles n’en ont pas besoin. Elles n’en sont plus aux premières heures, aux premiers jours de sombre folie, où elles criaient |
| |leur honte et suppliaient : « Que faire ? Que faire ? » Croyez-vous qu’une amère méditation qui dure 36 semaines ne porte pas ses |
|10 |fruits ? Donnez à celles qui manquent de tout, un abri, la nourriture, et quoi encore ?... Du travail..., une layette... et puis |
| |fiez-vous à elles. La plus révoltée, la plus vindicative n’est plus, maintenant, capable d’un crime, en dépit de ceux, qui l’en |
| |absoudraient d’avance.