commentaire chacun sa chimère
Dans Chacun sa chimère, Baudelaire décrit un véritable paysage intérieur, fantastique et pathétique et grâce à un récit allégorique relatant la mystérieuse rencontre d'un narrateur avec des hommes inconnus, victimes d'un monstre familier, il esquisse un tableau saisissant de la condition de l'Homme et de celle du poète. Nous verrons comment la forme du poème en prose permet à Baudelaire de donner sa vision du monde parisien. Dans un premier temps, nous verrons en quoi le décors et le temps sont une expression symbolique du Spleen de Paris. Deuxièmement, nous analyserons le drame de la rencontre entre Baudelaire et les autres.
Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.
Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.
Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.
Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.
Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique' du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel,