« L' homme n'est pas un être doux, en besoin d'amour, qui serait tout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué, mais qu'au contraire il compte aussi à juste titre parmi ses aptitudes pulsionnelles une très forte part de penchant à l'agression. En conséquence de quoi, le prochain n'est pas seulement pour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une tentation, celle de satisfaire sur lui son agression, d'exploiter sans dédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellement sans son consentement, de s'approprier ce qu'il possède, de l'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de le tuer. "Homo homini lupus" [l'homme est un loup pour l'homme]; qui donc, d'après toutes les expériences de la vie et de l'histoire, a le courage de contester cette maxime? [...]
L'existence de ce penchant à l'agression que nous pouvons ressentir en nous-mêmes, et présupposons à bon droit chez l'autre, est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne. Par suite de cette hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société de la culture est constamment menacée de désagrégation [...]. Il faut que la culture mette tout en oeuvre pour assigner des limites aux pulsions d'agression des hommes [...]. De là la restriction de la vie sexuelle et de là aussi ce commandement de l'idéal: aimer la prochain comme soi-même, qui se justifie effectivement par le fait que rien d'autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle.