Commentaire de la lettre 161, les liaisons dangereuses
I. Une lettre d’adieu, destinée à différents destinataires
La lettre 161, la dernière du recueil à être envoyée par la Présidente de Tourvel, se distingue des autres textes en raison de son originalité formelle : dans cette page, Laclos contourne, en partie, les codes traditionnels de l’écriture épistolaire. a) Le brouillage de l’émetteur
Dans cette page, l’identité de l’émetteur peut sembler, à première lecture, inhabituellement flou. Comme l’indiquent l’entête incomplète (« La Présidente de Tourvel à… »), et les précisions mises en italique et entre parenthèses, il y a ici une dissociation nette entre l’énonciateur (celui qui est à l’origine du message, celui dont on entend la « voix », c’est-à-dire madame de Tourvel) et le scripteur (celui qui couche les mots sur le papier). La parenthèse introductive le précise : si les mots sont bien ceux de la Présidente, l’écriture est celle « de sa femme de chambre ». Avant même de débuter la lecture du texte, cette séparation des rôles met en évidence la faiblesse extrême de la victime de Valmont, trop affectée par les événements pour prendre la plume. b) Une diversité de destinataires
Autre originalité, la lettre n’est pas adressée à un seul, mais à plusieurs destinataires. La disposition en paragraphes isole nettement les différents allocutaires du discours de la Présidente. Le vicomte de Valmont est le premier destinataire de ce courrier. Quoique jamais explicitement nommé, il est régulièrement désigné, à l’aide de périphrases, dans les § 1, 4 et 5, comme la source des malheurs de la Présidente (« être cruel et malfaisant » ligne 1, « auteur de mes fautes » ligne 13, « c’est à la fois pour lui et par lui que je souffre » ligne 31). Le Président de Tourvel apparaît lui aussi de manière indirecte, au travers du thème du mari trompé (« femme infidèle » ligne 22, « ta vengeance » ligne 23, « ta honte » ligne 24). On notera une opposition importante entre ces