Paludes, sixième ouvrage d’André Gide publié en 1895 est une création marquante à la fois dans l’histoire de la littérature française et dans la carrière de l’auteur. En effet, elle apparaît non seulement en rupture avec le courant littéraire dominant à la fin du XIXème siècle, le roman réaliste héritier de l’oeuvre de Balzac et de Zola, mais aussi avec les premiers écrits de l’auteur, d’inspiration symboliste. Annonciateur du Nouveau Roman, cet ouvrage présente une modernité très déroutante pour l’époque, car il conjugue une narration extrêmement pauvre, réduite à l’histoire de la rédaction d’un livre par le narrateur, avec une structure et stylistiques d’une grande nouveauté. Composé d’un étonnant mélange de plusieurs genres littéraires: roman, poésie, théâtre, journal, agenda… et proposant sous toutes ces formes une satire assez impitoyable du milieu littéraire de cette fin de siècle, Paludes a d’ailleurs été classé par l’auteur lui-même dans le genre sotie, qui désignait au Moyen-Age les pièces comiques du théâtre profane situées entre la moralité et la farce. L’extrait étudié est constitué des premières phrases de l’incipit de l’ouvrage, un chapitre intitulé « Hubert », qui s’ouvre à la suite d’une dédicace, d’un épigraphe et surtout d’une préface très inhabituelles car ne respectant pas les usages d’écriture de ce type d’éléments introductifs. Il s’agit du début d’une page du journal intime du narrateur et héros de Paludes, où se trouve essentiellement rapporté un dialogue entre celui-ci et l’un de ses meilleurs amis. Or, dans le prolongement du caractère déroutant du paratexte évoqué ci-dessus, ces premières phrases de Paludes illustrent immédiatement la manière dont l’auteur, dans cet ouvrage, s’est affranchi des caractéristiques du roman réaliste dominant la production littéraire d’alors. Nous allons ainsi étudier successivement trois aspects complémentaires de cette rupture: au plan thématique, au plan stylistique et enfin sur celui du pacte de lecture