Commentaire littéraire
L'argument dont use Victor Hugo ici pour condamner le nouveau régime a ses racines dans un voyage accompli le 10 février 1851 dans les quartiers populaires de Lille. C'est à une sollicitation de l'économiste Jérôme-Adolphe Blanqui, frère du célèbre révolutionnaire Auguste Blanqui, que Hugo a répondu. L'extrême pauvreté de ces gens provoque chez lui une prise de conscience aiguë de l'injustice sociale qui règne dans le pays. Ce voyage a d'ailleurs beaucoup contribué à son évolution politique vers la gauche. Peu de poèmes scellent avec autant de force l'unité de sentiment et d'inspiration de l'homme politique et de l'écrivain, au point peut-être de brouiller les genres : poème social ou harangue ? discours politique ou description littéraire ? Que cache au juste ce poème au titre ironique ?
Lecture du texte
Joyeuse vie - II
Du début au vers 24
Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille ;
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.
Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique ;
L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique ;
L'eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S'infiltrer dans ses os.
Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L'œil en ces souterrains où le malheur s'acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.
Misère ! L'homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n'ose, l'œil fixé sur le pain qu'elle apporte,
Lui dire : d'où viens-tu ?
Victor Hugo
Les Châtiments - Livre sixième
Commentaire littéraire
I- Une enquête