Commentaire Dans son Rappel à l’Ordre (1926), Jean Cocteau expose sa vision de la poésie. Pour lui, le poète doit refuser l’exotisme et peindre les objets sur lesquels « son cœur, son œil glissent chaque jour » afin de montrer « nues, sous une lumière qui secoue la torpeur » les choses « surprenantes qui nous environnent ». On peut rattacher à cette thèse l’œuvre de Baudelaire qui bouleverse le genre poétique en exposant sous un autre angle les sujets ‘classiques’ du genre : la femme aimée devient « serpent », le plaisir « tue », la « Beauté » est toujours inaccessible et cache souvent une certaine cruauté (une Passante, la Beauté.) ; de Victor Hugo qui déclarait vouloir « mettre le bonnet rouge au vieux dictionnaire » et ‘réhabiliter’ les « mots roturiers. » ; de Stéphane Mallarmé voulant « redonner un sens aux mots de la tribu. » Les surréalistes, quant à eux, exploraient l’inconscient en transcrivant directement leurs pensées, avec le minimum de travail de réécriture et en refusant toute influence extérieure. Cependant le poète qui assigne à la poésie le même rôle que Cocteau est sans doute Francis Ponge. Son œuvre la plus connue, Le Parti pris des Choses (1942) est un recueil de courts poèmes en prose décrivant, d’une façon radicalement différente de ce à quoi l’on peut s’attendre, des « choses », à première vue banales et indignes de faire l’objet d’un poème. Nous allons monter l’originalité de ce point de vue en nous appuyant pour cela sur un extrait, « l’Orange. »
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I) A) De même que la présentation en prose, l’utilisation de l’argumentation contribue à sortir ce texte des « sentiers battus » de la poésie. Est-il en effet courant de bâtir une description sur le mode d’un débat d’idées ? C’est pourtant ce que fait Ponge. On y retrouve les marques du registre argumentatif : abondance des connecteurs logiques et autres mots de liaison (« Comme », « mais », « tandis que »), interpellations du lecteur («