« Vous êtes filles, vous resterez fille […], on ne peut devenir ici-bas que ce qu’on est »1, telle est la sentence prononcée par le faux abbé espagnol à la pauvre Esther au chapitre XIII. Cette phrase, si elle n’est pas dans notre extrait, en contient néanmoins toute la substance. Esther revenue à la vie morale, élevée spirituellement par la grâce de Dieu ou par la volonté du très protéiforme Jacques Collin, ne pourra souffrir de réaliser cette prédiction et accepter de redevenir la fille impure qu’elle était, dont le « corps-carrefour »2 et les mœurs impudiques meurtrissaient l’âme. Mais en homme tout puissant dont les simples paroles scellent le destin des êtres, Jacques Collin, sous la forme de l’abbé Carlos Herrera, prophétise avec exactitude la suite des événements. Aussi, lorsque dans notre extrait Esther découvre avez stupeur la souillure à laquelle celui-ci la prépare depuis le début, la seule solution qu’elle entrevoit pour y échapper est de quitter cet « ici-bas » où elle ne pourra jamais être autre chose que la Torpille. Elle choisit donc de mourir, mais pas tout de suite. Est-ce Carlos Herrera lui même qui ouvre la porte du suicide à Esther ? La précision faite de l’ « ici-bas » pourrait le laisser penser. L’abbé sous-entendrait alors qu’ailleurs, elle pourrait être ce à quoi elle aspire. Cette idée nous donne à apercevoir toute l’étendue du pouvoir de ce génie du mal qu’est Jacques Collin, à la fois acteur, marionnettiste et metteur en scène de ce drame parisien. De cet extrait en particulier, situé au carrefour entre la vie sans ombres menée par Lucien et Esther pendant cinq ans et le futur obscur qui a été façonné par Jacques Collin, il est intéressant de voir en quoi le discours explicatif du narrateur et la focalisation interne sur le personnage d’Esther offrent une anticipation sur la suite des événements et sur la finalité du récit. Trois types d’événements sont présagés à la lumière de cet extrait et constituerons les trois parties du