Commentaire A.Jarry
(En gras les pistes de lecture et d’analyse)
I. La tradition farcesque
Jarry inscrit cette scène dans la plus pure tradition farcesque de la scène de ménage.
Reconnaissant Mère Ubu qui vient de le gruger-rappelons que tromper l’autre est le ressort universel de la farce-Père Ubu l’agonit d’injures : « charogne », « sotte chipie »charogne », « idiote », « sotte créature », « sotte bourrique », « idiote », « grotesque ».
« Charogne » est une injure violente car le mot évoque un cadavre en décomposition, quant à « grotesque », il détonne dans ces insultes conjugales et paraît s’appliquer à la fois aux personnages et à la tonalité de la pièce.
Mère Ubu contre-attaque plus sobrement. Pour elle, Ubu est une « bourrique »-elle le répète à deux reprises- c’est-à-dire un âne, alliant, selon l’acceptation courante, la bêtise à l’entêtement.
Le courage viril n’est pas l’apanage du Père Ubu qui ,après avoir eu lui-même très peur de l’ours, dans une scène précédente, s’affole à l’idée que celui-ci peut, contre toute vraisemblance, vivre encore. Il « remonte sur son rocher », adresse des prières à Dieu dans une confusion mentale provoquée par la peur, avant de se rappeler que l’ours a bel et bien été tué (citation textuelle). C’est une peur irrationnelle, brute, enfantine qui s’empare du personnage, d’autant plus drôle pour le spectateur/lecteur, qu’il sait bien, lui, que l’ours est mort. La régression vers un stade infantile du psychisme est un des ressorts du comique de la farce. Cet effet comique est redoublé, puisqu’il joue aussi sur la peur de Mère Ubu et sur le gag risible de sa chute sous le poids de l’animal. Le rythme haché de ses exclamations induit le jeu haletant de l’actrice et accompagne ses efforts pour se dégager : sept unités de sens et de souffle, ponctuées d’un point d’exclamation, dans un rythme croissant, d’une syllabe pour la première (« ah ») à quatre pour la dernière (« il me digère »). Le décalage