Condorcet M Moires Sur L Instruction Publique
Premier mémoire : "Nature et objet de l'instruction publique", conclusion
(Lecture analytique 3)
Généreux amis de l'égalité, de la liberté, réunissez-vous pour obtenir de la puissance publique une instruction qui rende la raison populaire, ou craignez de perdre bientôt tout le fruit de vos nobles efforts. N'imaginez pas que les lois les mieux combinées puissent faire un ignorant l'égal de l'homme habile, et rendre libre celui qui est esclave des préjugés. Plus elles auront respecté les droits de l'indépendance personnelle et de l'égalité naturelle, plus elles rendront facile et terrible la tyrannie que la ruse exerce sur l'ignorance, en la rendant à la fois son instrument et sa victime. Si les lois ont détruit tous les pouvoirs injustes, bientôt elle en saura créer de plus dangereux. Supposez, par exemple, que dans la capitale d'un pays soumis à une constitution libre, une troupe d'audacieux hypocrites soit parvenue à former une association de complices et de dupes ; que dans cinq cents autres villes, de petites sociétés reçoivent de la première leurs opinions, leur volonté et leur mouvement, et qu'elles exercent l'action qui leur est transmise sur un peuple que le défaut d'instruction livre sans défense aux fantômes de la crainte, aux pièges de la calomnie, n'est-il pas évident qu'une telle association réunira rapidement sous ses drapeaux et la médiocrité ambitieuse et les talents déshonorés ; qu'elle aura pour satellites dociles cette foule d'hommes, sans autre industrie que leurs vices, et condamnés par le mépris public à l'opprobre comme à la misère ; que bientôt, enfin, s'emparant de tous les pouvoirs, gouvernant le peuple par la séduction et les hommes publics par la terreur, elle exercera, sous le masque de la liberté, la plus honteuse comme la plus féroce de toutes les tyrannies ? Par quel moyen cependant vos lois, qui respecteront les droits des hommes, pourront-elles prévenir les progrès d'une