Contemplation
André Durand présente
‘’Je te donne ces vers’’ sonnet de Charles BAUDELAIRE dans ‘’Les fleurs du mal’’
Je te donne ces vers afin que si mon nom Aborde heureusement aux époques lointaines, Et fait rêver un soir les cervelles humaines, Vaisseau favorisé par un grand aquilon, Ta mémoire, pareille aux fables incertaines, Fatigue le lecteur ainsi qu’un tympanon, Et par un fraternel et mystique chaînon Reste comme pendue à mes rimes hautaines ; Être maudit à qui, de l’abîme profond Jusqu’au plus haut du ciel, rien, hors moi, ne répond ! - Ô toi qui, comme une ombre à la trace éphémère, Foules d’un pied léger et d’un regard serein Les stupides mortels qui t’ont jugée amère, Statue aux yeux de jais, grand ange au front d’airain !
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Commentaire
Ce trente-neuvième poème des ‘’Fleurs du mal’’ a pour thème le pouvoir des vers du poète, qui envisage une immortalité qui serait assurée grâce au souvenir qu’on garderait d’un être féminin qu’il y a célébré, qu’il tutoie, auquel il adresse le sonnet. C’est un thème qui avait déjà été traité, en particulier par Ronsard (‘’Quand vous serez bien vieille…’’), au point qu’on pourrait considérer que Baudelaire ici le pasticha. Il faudrait pouvoir identifier cet être qui n’apparaît d’ailleurs que dans la deuxième moitié du poème : est-ce une muse impersonnelle? est-ce la beauté elle-même que seul le poète peut atteindre et qui reste inaccessible aux mortels? ne serait-ce pas plutôt la femme aimée, la mulâtresse Jeanne Duval, qui fut la maîtresse de Baudelaire et sa compagne durant vingt ans? Ainsi, ce poème, qui parut le 20 avril 1857 dans ‘’La revue française’’, dont on peut supposer qu’il fut composé au cours des semaines précédentes, serait une dédicace par laquelle le poète aurait offert ses vers à celle qui les avait inspirés. Et le sonnet fermerait de façon explicite le premier cycle des poèmes d’amour des ‘’Fleurs du mal’’, qu’on appelle le «cycle de Jeanne», ou le cycle de «la Vénus