Courir, roman de jean echenoz
Lorsqu’on court, c’est un peu comme lorsqu’on est dans un train : le paysage défile de l’autre côté de la fenêtre, de tentantes perspectives s’ouvrent et se referment, on effleure du regard les frondaisons des arbres et les jeunes herbes. On pourrait les toucher du bout des doigts…
…mais on ne le fait pas quoique la tentation soit grande car cela briserait l’harmonie du mouvement, car si l’on quittait la foulée pour le pas, si l’on tirait le signal d’alarme du train pour aller s’asseoir sous cet arbre, à côté de cette fleur des champs qui nous a tant plu, le charme serait irrémédiablement rompu, comme si ayant arrêté le film on pouvait passer à travers l’écran pour se retrouver… dans le studio et découvrir que les fleurs sont en papier sur des collines de carton-pâte… À la lecture du roman de Jean Echenoz, il semble que c’est ainsi qu’Émile Zatopek, toujours courant, toujours allant de l’avant, toujours souriant, a vécu sa vie, comme le voyageur sans cesse taquiné par les changements de perspectives et la joliesse fugitive des scènes surprises sur les bas côtés… et qui ne progresse pas dans la lecture du livre qu’il vient d’acheter au kiosque de la gare. C’est que, dans ces éclats du monde offerts comme des clins d’œil, l’essence des choses, la chose en soi que tant de philosophes ont en vain espéré voir et saisir, la voilà ! Nietzsche, disait-il, pensait en marchant. Où ne serait-il pas arrivé, s’il avait fait du jogging