Crime et santé sociale, Émile Durkheim
Émile Durkheim (1895)
Je demande la permission de répondre brièvement au récent article de M. Tarde intitulé Crime et santé sociale ; car la plupart des propositions que me prête mon éminent critique ne sont pas miennes. je les juge fausses tout comme lui .
1° Je n'ai pas dit que la progression de la criminalité, constatée par notre statistique, fût normale. On ne trouvera pas une phrase de mon livre où cette idée soit exprimée. J'accepte si peu la théorie de M. Poletti que je l'ai publi-quement réfutée dans une leçon du Cours de sociologie criminelle que j'ai récemment professé à Bordeaux. Dans un livre que je prépare sur Le suicide, on trouvera une réfutation de la même thèse, en tant qu'elle est applicable aux morts volontaires. Voilà donc un premier point établi. Après cette déclaration, M. Tarde ne peut mettre en doute qu'il m'a attribué sur cette question un sentiment qui n'est pas le mien.
Aussi bien, M. Tarde semble-t-il lui-même avoir eu quelque scrupule ; car il a senti le besoin d'ajouter à son texte une note pour démontrer que cette pro-position est« conforme à mes principes ». Cette méthode de discussion, qui consiste à faire dire à un auteur ce qu'il n'a pas dit, était fort en honneur autrefois ; depuis on y a renoncé. On s'est aperçu qu'il était trop facile de tirer d'un système toutes les conséquences qu'on voulait. je crois qu'il y aurait avantage à n'y pas revenir. Mais du moins, est-il vrai que, au nom de la logi-que, il me faille accepter cette erreur ? Qu'on en juge. Après avoir constaté que l'existence d'une criminalité était un fait universel, et, par conséquent, présentait le critère de la normalité, j'ai cru devoir me faire une objection. Si, ai-je dit, les faits nous permettaient du moins de croire que, plus on avance dans l'histoire, plus la criminalité, sans disparaître, se rapproche de zéro, on pourrait supposer que cette universalité et, partant, cette normalité sont tem-poraires. Mais