Culture et classes sociales
On peut faire remonter l’étude sociale des pratiques culturelles à Thorstein Veblen et Maurice Halbwachs. Le premier, en 1899, à travers sa « Théorie de la classe de loisirs », a montré que les pratiques culturelles de la classe oisive sont une façon ostentatoire d’afficher un mode de vie qui a plus à voir avec la position sociale affichée qu’avec un niveau de vie objectif. Le deuxième étudia en 1912 la composition des budgets ouvriers en France et mis en évidence, par exemple, que la consommation d’éclairage et par conséquent le lecture contribuait à distinguer les familles les unes des autres. À peu près au même moment, l’école de Francfort critiquait l’émergence d’une « industrie culturelle » qui nivelait les pratiques culturelles par le bas, ouvrant ainsi la voie à l’étude de l’homogénéisation des pratiques culturelles et de la « culture moyenne », ou de masse.
Or si, comme nous le verrons, l’analyse sociologique des pratiques culturelles doit faire le lien entre les groupes sociaux et certaines pratiques tout en montrant et en analysant la remise en cause permanente de la simple équivalence entre des groupes et des pratiques déterminées, on peut identifier deux obstacles à l’émergence d’une telle réflexion. Tout d’abord, du côté de la sociologie française, le fait que l’école durkheimienne était centrée sur une vision « nationale » de la société et des liens sociaux. Certes dans son article sur l’éducation (1911) Emile Durkheim concevait de façon organique que chaque groupe social avait des façons de « faire, de sentir et d’agir » propres au métier et à la fonction qui était la sienne. Mais il n’a pas mené une analyse la stratification sociale, ni même interrogé le concept de culture, comme Max Weber ou Georg Simmel pouvaient le faire à cette époque. C’est bien plus de la pratique des acteurs de la culture (on pense à Jean Vilar et aux TNP mais aussi à Malraux et au ministère de la culture créé en 1959) que viendront les