De quoi puis-je faire l'expérience?
Tricoche
« De quoi puis-je faire l’expérience ? »
Dans son « Cour de philosophie positive », Auguste Comte crut nécessaire de fixer des limites au champ d’expérience possible de l’homme : ainsi la composition des astres célestes, trop éloignés pour que quiconque puisse en faire l’expérience, sont définitivement étrangers à la connaissance humaine, unique finalité de l’expérience pour Comte. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, c’est chose faite : de façon indirecte, à travers la lumière que nous recevons des astres, nous pouvons éprouver leur composition.
Cette anecdote montre bien qu’il n’est pas aisé de délimiter par avance le champ de nos expériences possibles - et pas seulement en sciences- tout simplement parce qu’il est difficile d’appréhender le contenu de nos expériences lui-même. En effet, l’erreur de Comte est peut-être de réduire l’expérience à un simple moyen, au seul enregistrement de la réalité extérieure par les sens dans le cadre d’une expérimentation scientifique, un pont entre la réalité et mon esprit : ainsi pour lui les seules limites possibles de l’expérience ont des origines pratiques (l’impossibilité matérielle d’accéder aux astres). Mais faire une expérience, dans le sens d’éprouver personnellement la réalité d’une chose, d’une situation particulière, d’une habitude acquise par la pratique, est-ce purement passif, sensoriel et exclusivement tourné vers l’extérieur? D’ailleurs, étymologiquement, « faire l’expérience » vient du latin experientia, « faire un essai », celle-ci implique donc fondamentalement une dimension individuelle, puisqu’un essai ne vaut que pour un individu donné. Le champ de nos expériences semble donc se trouver entre la réalité objective et nos représentations subjectives, entre l’objet qui stimule nos sens et notre conscience personnelle, et on comprendrait pourquoi Comte et plus généralement les hommes de sciences tenteraient de s’éloigner des secondes pour se rapprocher des premières lors