De la brièveté de la vie - livre iii
De la brièveté de la vie
1I.
(1) La plupart des mortels, Paulin, se plaignent de l'injuste rigueur de la nature, de ce que nous naissons pour une vie si courte, de ce que la mesure de temps qui nous est donnée fuit avec tant de vitesse, tarit de rapidité, qu'à l'exception d'un très− petit nombre, la vie délaisse le reste des hommes, au moment où ils s'apprêtaient à vivre. Cette disgrâce commune, …afficher plus de contenu…
Quand tous les génies qui ont jamais brillé se réuniraient pour méditer sur cet objet, ils ne pourraient s'étonner assez de cet aveuglement de l'esprit humain. Aucun homme ne souffre qu'on s'empare de ses propriétés ; et, pour le plus léger différend sur les limites, on a recours aux pierres et aux armes. Et pourtant la plupart permettent qu'on empiète sur leur vie ; on les voit même en livrer d'avance à d'autres la possession pleine et entière. Ou ne trouve personne qui vous fasse part de son argent, et chacun dissipe sa vie à tous venants. Tels s'appliquent à conserver leur patrimoine, qui, vienne l'occasion de perdre leur temps, s'en montrent prodigues, alors seulement que l'avarice serait une …afficher plus de contenu…
On peut y ajouter, mais non en retrancher ; et encore, si l'on y ajoute, c'est comme, quand un homme dont l'estomac est rassasié, mais non rempli, prend encore quelques aliments, qu'il mange sans appétit. (10) Ce n'est donc pas à ses rides et à ses cheveux blancs, qu'il faut croire qu'un homme a longtemps vécu : il n'a pas longtemps vécu, il est longtemps resté sur la terre. Quoi donc ! pensez−vous qu'un homme a beaucoup navigué, lorsque, surpris dès le port par une tempête cruelle, il a été çà et là ballotté par les vagues, et qu'en butte à des vents déchaînés en sens contraire, il a toujours tourné autour du même espace ? il n'a pas beaucoup navigué, il a été longtemps battu par la