Derrida en cinq concepts
Lire, novembre 2004
L'œuvre du philosophe Jacques Derrida, disparu le 9 octobre dernier, est d'abord une jungle serrée de concepts nouveaux. Survivra-t-elle longtemps à son auteur, et aux vogues, qu'elle suscita dans le monde entier? Aux lecteurs de juger.
En 1967, en pleine folie structuraliste, explosaient trois bombes théoriques dans un paysage intellectuel français déjà bouillonnant: De la grammatologie, L'écriture et la différence et La voix et le phénomène, signés d'un inconnu né le 15 juillet 1930 à El Biar, en Algérie, pour l'heure «caïman» (directeur d'études) rue d'Ulm. Plus de 90 titres suivent, micro-analyses d'une seule phrase de Nietzsche ou embrasements de toute la métaphysique occidentale, moins des livres - forme trop figée pour Derrida, cénotaphe d'une pensée - qu'un flux de textes ouverts, et moyennant quatre genres plus ou moins successifs: les grands traités philosophiques du début (de sa thèse sur/contre Husserl en 1962 à Marges de la philosophie en 1972), les relectures d'un seul texte ou d'une seule œuvre d'art en forme de séminaires de travail (d'Eperons, sur Nietzsche, à Ulysse gramophone, sur Joyce), les grands essais d'éthique ou de politique des quinze dernières années (de Politiques de l'amitié à Force de loi), et les écrits expérimentaux - de l'obscur Glas composé en deux colonnes (l'une pour commenter Hegel, l'autre pour lire Jean Genet) à l'inclassable Circonfession (rencontre des Confessions de saint Augustin et de la propre circoncision de l'auteur). Puis iraient en s'amplifiant d'une part la marginalisation de Derrida en France, où l'Université le boude et les jeunes idéologues l'attaquent, tandis que se resserre autour de lui et des éditions Galilée un petit groupe d'intimes indéfectibles (de Jean-Luc Nancy à Sarah Kofman et Michel Deguy) - rendant d'autant plus trompeur le concert de louanges unanime que vient de déclencher sa disparition -, et d'autre part son triomphe