Amputés. C’est ainsi que le mythe des androgynes désigne les êtres humains, forcément pluriels puisque moitiés dont seul le corps a été refermé, leur âme demeurant béante, ouverte au premier venu dans l’aveuglement d’une nostalgie amnésique d’une union dont elle n’a même plus idée de ce à quoi elle avait pu ressembler. Le problème avec le manque, c’est que si jamais il ne peut pas être rassasié, il ne reste que peu de solutions : oublier, ou souffrir ; et il n’est même pas sûr qu’oublier, ce ne soit pas aussi souffrir. Pour ce qui est du besoin, l’affaire est assez vite entendue : ne pas le satisfaire fait souffrir et on reconnaît sa satisfaction au plaisir qu’elle procure ou à la disparition de la douleur qu’il provoque. Mais pour ce qui est du désir, la question est davantage paradoxale, puisque tout se passe comme si ce manque faisait souffrir alors même qu’objectivement, il semble toujours porter sur des objets dont on peut se passer, et dont l’absence ne devrait causer aucune douleur. Et pourtant, nous souffrons de voir nos désirs demeurer éternellement insatisfaits, à tel point qu’on peut se dire malheureux alors même que tous nos besoins sont satisfaits. Là se trouve le paradoxe et le caractère en apparence déraisonnable du désir, puisqu’on ne sait trop s’il est vraiment possible de désirer sans souffrir. Or, si nous faisons assez facilement la promotion du désir comme force essentielle dans notre existence, peut être devrions nous évaluer à sa juste mesure la souffrance qui accompagne ce phénomène, puisqu’on pourrait s’inquiéter de voir l’homme accorder une grande valeur à des chimères et les poursuivre alors même que celles-ci, bien qu’issues de son esprit dérangé, ne provoqueraient que la souffrance. Parler du désir comme simple manque douloureux est donc insuffisant. C’est tout d’abord une évaluation du plaisir qu’il est susceptible de procurer qu’il faut mettre en œuvre, pour établir si on peut s’y livrer ou s’il parait plus raisonnable de lui échapper