CAUCHEMAR EN GRIS Il se réveilla avec une merveilleuse sensation de bien-être, savourant l'éclat et la douce chaleur du soleil, dans l'air printanier. Il s'était assoupi sans bouger sur le banc du jardin public, seule sa tête s'était penchée en avant ; son somme n'avait pas duré une demi-heure, il le savait, puisque l'ombre du doux soleil n'avait que peu avancé pendant son sommeil. Le jardin resplendissait du vert du printemps, un vert plus doux que celui de l'été ; c'était une journée magnifique et il était jeune amoureux. Merveilleusement amoureux, amoureux à en avoir le vertige. Et heureux en amour : la veille, qui était un samedi, il s'était déclaré à Susan dans la soirée et elle avait dit oui. Plus ou moins oui. Pour être précis, elle ne lui avait pas dit oui, mais elle l'avait invité à venir, aujourd'hui dimanche, dans l'après-midi, faire la connaissance de ses parents ; elle avait dit : «J'espère que vous les aimerez et qu'eux vous aimeront... qu'ils vous aimeront autant que je vous aime.» Si ce n'était pas là l'équivalent d'un oui, qu'était-ce ? Cela avait été un amour en coup de foudre, pratiquement, raison pour laquelle il ne connaissait pas encore les parents de la jeune fille. Adorable Susan aux doux cheveux sombres, à l'adorable nez tout petit, presque de carlin, aux tendres taches de rousseur à peine marquées, et aux grands yeux noirs si doux... C'était la chose la plus merveilleuse qui lui fût jamais arrivée, la chose la plus merveilleuse qui pût jamais arriver à n'importe qui. On en était enfin à ce «milieu d'après-midi» où Susan lui avait dit de venir. Il se leva de son banc et, un peu engourdi par sa sieste, il s'étira voluptueusement. Puis il se mit en route vers la maison, à quelques centaines de mètres du jardin public où il s'était assis pour tuer le temps, vers la maison à la porte de laquelle il avait raccompagné Susan la veille au soir. Une petite promenade agréable sous le beau soleil, par ce beau jour de printemps. Il