Dialogue entre antigone et créon
D’emblée, avec sa réserve habituelle et la secrète inquiétude qui l’anime devant les bassesses inévitables du quotidien, Anouilh met en scène des héros qui refusent de s’adapter aux contraintes du monde comme il va et à s’accoutumer aux compromis. Ainsi dans l’Hermine (1932) et surtout dans la Sauvage (1934) où l’héroïne, devant l’exigence de pureté et d’absolu qui est la sienne, est incapable de tricher et de se mentir à elle-même. L’intransigeance la porte ainsi à choisir lucidement la solitude et le malheur puisqu’«il y aura toujours un chien perdu quelque part qui [l]’empêchera d’être heureuse».
Le fait que chacun d’entre nous se retrouve être l’exécuteur d’un destin déjà tracé inspirera encore à Anouilh Y’avait un prisonnier (1935), le Voyageur sans bagage (1936), où l’amnésie prive précisément le héros de tout ancrage dans le passé, Eurydice (1941) où la mort, en purifiant les amants, leur donne l’absolu. Autant de thèmes, de personnages, de réflexions qui préfigurent Antigone. Une pièce que l’ambiguïté des réponses proposées par Anouilh plaça d’emblée, malgré le succès remporté, au cœur d’une polémique, la censure des occupants allemands ayant autorisé la représentation après avoir lu, semble-t-il, la victoire finale de Créon comme une justification de l’ordre.
Le passage qui nous intéresse ici se trouve au centre de la pièce et oppose Antigone et Créon, deux des personnages principaux de la pièce, celui-ci tentant de raisonner celle-là pour ne pas avoir à la faire tuer. Antigone, qui dénie à son oncle le droit de porter le titre de Roi, se pose en tant que « reine », alors que Créon va tenter de lui présenter ce qu’est son rôle et son statut de Roi. Nous verrons dans une première partie le dialogue mouvementé entre les deux protagonistes