Discours sur le bonheur
Qui suit, l’opposition est vive entre le vieux sage tahitien, qui défend la liberté sexuelle au nom des lois de la Nature, et l’Aumonier, prêtre attaché à l’expédition.
L’AUMONIER : La fille déshonorée ne trouve plus de mari.
OROU : Déshonorée ! et pourquoi ?
L’AUMONIER : La femme infidèle est plus ou moins méprisée.
OROU : Méprisée ! et pourquoi ?
L’AUMONIER : Le jeune homme s’appelle un lâche séducteur.
OROU : Un lâche ! un séducteur ! et pourquoi ?
L’AUMONIER : Le père, la mère et l’enfant son désolés. L’époux volage est un liber- tin ; l’époux trahi partage la honte de sa femme.
OROU : Quel monstrueux tissu d’extravagances tu m’exposes là ! et encore tu ne me dis pas tout ; car aussitôt qu’on s’est permis de disposer à son gré des idées de justice et de propriété, d’ôter ou de donner un caractère arbitraire aux choses, d’unir aux actions ou d’en séparer le bien et le mal, sans consulter que le caprice, on se blâme, on s’accuse, on se suspecte, on se tyrannise, on est envieux, on est jaloux, on se trompe, on s’afflige, on se cache, on dissimule, on s’épie, on se sur- prend, on se querelle, on ment ; les filles en imposent à leurs parents, les maris à leurs femmes, les femmes à leurs maris ; des filles, oui, je n’en doute pas, des filles étoufferont leurs enfants, des pères