Dissertation
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De la volonté comme pathos au désir comme production : Schopenhauer, Nietzsche, Deleuze
Par Arnaud François (Université Lille 3) Peu de choses nuisent plus à une philosophie qu’une réputation d’extravagance. Cela me semble particulièrement vrai dans le cas de Deleuze. La limite est ténue entre l’extravagance et la divagation. Plus, sans doute, que pour d’autres penseurs, il importe de faire ressortir les médiations, souvent ignorées, entre les problèmes posés par Deleuze et ceux de la philosophia perennis, comme on dit. Le risque est grand, dira-t-on, de masquer la nouveauté de la pensée de Deleuze, au profit de la continuité entre sa pensée et celle de ses prédécesseurs ; bien au contraire : saisir l’essence de la création, c’est la comprendre comme continuation. La seule alternative à la création-continuation, c’est la création ex nihilo, mais celle-ci n’en est pas une, elle ne peut être que la réalisation d’un possible préexistant, une véritable fulguration. Je voudrais appliquer cette conception de l’histoire de la philosophie comme actualisation à l’une des grandes doctrines de L’anti-Œdipe, à savoir la théorie du désir comme production, non comme manque. Parmi les prédécesseurs marquants de Deleuze, il en est un qui a explicitement caractérisé l’essence du monde comme désir ou comme souffrance, et cette souffrance ou ce désir comme production perpétuelle de phénomènes : je veux parler de Schopenhauer. On pourrait être surpris par l’idée d’une filiation entre la pensée de Schopenhauer et celle de Deleuze : Schopenhauer est très peu mentionné, encore moins utilisé, par Deleuze. Quelques usages de la locution « quadruple racine » dans Différence et répétition1, une lettre de 1964 qui atteste, tout de même, une lecture attentive et problématisante de l’œuvre2, voilà le genre d’occurrences du pessimiste de Francfort dans