Dix heure et demie du soir en été
James Joyce
Écrivain irlandais (Rathgar, Dublin, 1882-Zurich 1941).
Introduction
La littérature se sert, pour construire ses objets, d'un matériau qui est en même temps celui du langage ; le mot existe indépendamment de la chose qu'il désigne. Cette prise de conscience est l'un des éléments dynamiques essentiels de l'œuvre de James Joyce. L'exploitation de cette mise au point ne fut totale qu'au terme d'un double processus : d'une part, le désengagement de l'auteur du milieu socioculturel irlandais et, d'autre part, le lent progrès d'un travail littéraire conscient. Ce labeur acharné a contribué à mettre fin au malentendu qui, pendant des siècles, a posé la littérature comme une représentation transparente de la réalité.
« Pourtant je pense que sur la monotonie de l'existence on peut prendre la mesure d'une vie dramatique. Le pire des lieux communs, le plus mort des vivants peuvent jouer leur rôle dans un grand drame. »
James Joyce naît le 2 février 1882 à Rathgar, un faubourg du sud de Dublin, dans une famille catholique. La personnalité exubérante et instable de son père, John Joyce, tour à tour étudiant en médecine, champion d'aviron, chanteur, comédien, politique exalté, secrétaire, ouvrier et percepteur, grand buveur mais brave homme, contraste avec celle de sa mère, Mary Jane Murray, surtout préoccupée de veiller sur son logis et ses treize enfants. D'abord aisée, cette famille voit ses difficultés financières s'aggraver au cours des années. Allant de faillite en licenciement, John Joyce oblige sa famille à déménager une quinzaine de fois en quelques années, autant de degrés perdus dans l'échelle sociale. La descente vers la pauvreté est ralentie un temps par la vente des propriétés de Cork en 1894, mais le mouvement est inéluctable. Conditionnée par le taudis, ponctuée par les accès éthyliques de John Joyce, la vie de famille prend un aspect de crise continuelle. C'est sur ce fond de décadence sociale que s'effectue l'éducation de