L’influence et les sentiments qui liaient Marcel et sa mère, Jeanne, ont été décisifs dans la construction et les intentions de l’œuvre de Proust. Leur relation est si exclusive et absolue que Marcel lui écrit : « J’aime mieux avoir des crises [d’asthme] et te plaire que te déplaire et ne pas en avoir. » C’est Madame Proust qui lui transmet ses goûts littéraires et artistiques et lui donne les clés pour diriger son travail d’écriture : discipline et fermeté. Elle va même jusqu’à l’aider dans son entreprise de traduction du philosophe et esthète anglais Ruskin, que Proust admire. De cette collaboration paraîtront La Bible d’Amiens (1904), et Sésame et les Lys (1906). Les rares voyages (Amiens, Venise, Rome) effectués d’abord avec sa mère, puis seul en Hollande où Marcel découvre la Vue de Delft de Vermeer nourriront Le Temps perdu. Les feuillets de Proust, esquisses de la Recherche prennent source dans cette histoire familiale dont la mère est la clé de voûte. Issue de la bourgeoisie juive venue d’Alsace et d’Allemagne, Jeanne Weil épouse Adrien Proust, médecin catholique athée, de moindre fortune mais offrant bonnes situation et intégration. Cette double généalogie, le mélange des gens et des lieux, seront aussi au cœur de la Recherche. Auteuil et Illiers, fiefs de ses parents, inspireront grandement Combray à Proust. À la mort de sa mère en 1905, qui suit de peu celle de son père (1903), Marcel est effondré et inconsolable. Mais, de ce qui est perdu pour toujours, c’est-à-dire l’unité originelle de la mère et son enfant, la certitude d’être aimé, et plus généralement l’amour ; surgit la nécessité d’instaurer, par l’écriture, d’autres rapports (aux souvenirs, aux lieux, au temps). Ce deuil impossible devient un moteur fondamental dans l’ouverture de la matière de l’écriture proustienne. Si Proust n’était encore qu’un esthète cultivé, chroniqueur mondain soucieux des conventions ; l’essentiel de son projet commence à se dessiner. Débute alors son nouveau