Eloge de montesquieu par villemain
Le genre humain avait perdu ses titres : Montesquieu les a retrouvés, et les lui a rendus.
VOLTAIRE.
Si toutes les nations de l’Europe, enfin réunies par l’intérêt de l’humanité et la fatigue de la guerre, voulaient élever un monument de leur réconciliation, et choisir un grand homme dont l’image, consacrée dans ce temple nouveau, parût un symbole de justice et d’alliance, elles ne le chercheraient ni parmi les héros ni parmi les rois qu’elles admirent. Sans doute, on ne pourrait pas introduire dans le sanctuaire de la paix la statue d’un capitaine fameux, quand même on en trouverait un seul qui n’eût jamais entrepris de guerres injustes ; on n’y recevrait pas un de ces politiques profonds qui, par leur génie, ont fait la grandeur de leur pays ; car il ne s’agirait pas alors de la grandeur d’un État, mais du repos de l’Europe ; on n’accueillerait, pas même l’image révérée des plus grands rois : ils ont quelquefois sacrifié l’intérêt de l’humanité à celui de leurs peuples, ou plutôt de leur gloire ; et c’est à l’humanité qu’on voudrait élever un monument.
Mais si l’Europe avait produit un sage dont la gloire fût un titre pour le genre humain, et dont les honneurs, au lieu de flatter une vanité nationale, paraîtraient un hommage décerné par tous les peuples au génie qui les éclaire, un philosophe assez profond pour n’être pas novateur, qui eût bien mérité de tous les siècles par des ouvrages composés avec tant de prévoyance et de réserve, que, sans avoir pu jamais servir de prétexte aux révolutions, ils pourraient en épurer les résultats, et devenir l’explication et l’apologie la plus éloquente de cette liberté sociale, qu’ils n’ont pas imprudemment réclamée ; si ce grand homme avait à la fois recommandé le patriotisme et l’humanité ; s’il avait flétri le despotisme d’un opprobre aussi durable que la raison humaine ; s’il avait montré ce lien de politique qui doit rapprocher tous les peuples, et changer le but de