Emmanuel kant
IDÉE D’UNE HISTOIRE UNIVERSELLE
AU POINT DE VUE COSMOPOLITIQUE(. Une brève note parue dans la douzième livraison de la Gotaische Gelehrte Zeitung de cette année, se référant sans doute à l’entretien que j’ai eu avec un savant de passage, me conduit à fournir cet éclaircissement sans lequel la note en question demeurerait inintelligible. )
Quel que soit le concept que, du point de vue métaphysique, on puisse se faire de la liberté du vouloir, il reste que les manifestations phénoménales de ce vouloir, les actions humaines, sont déterminées selon des lois universelles de la nature, exactement au même titre que tout autre événement naturel. L’histoire, qui se propose de raconter ces manifestations phénoménales, quelle que puisse être la profondeur en laquelle sont cachées leurs causes, donne cependant à espérer qu’en considérant globalement le jeu de la liberté du vouloir humain, elle peut y découvrir un cours régulier et que, de cette façon, ce qui chez les sujets particuliers paraît confus et irrégulier pourra cependant être reconnu au niveau de l’espèce entière comme étant un développement constant, bien que lent, de ses dispositions originelles. Ainsi, par exemple, les mariages, les naissances qui en résultent et la mort, étant donné que la libre volonté des hommes exerce sur eux une si grande influence, ne semblent pouvoir être soumis à aucune règle d’après laquelle on pourrait en calculer le nombre par avance ; et, pourtant, les tableaux qu’on en dresse chaque année dans les grands pays prouvent qu’ils se produisent tout aussi bien selon des lois naturelles constantes, que les si inconstantes variations atmosphériques qui, prises isolément, ne sont pas prévisibles, mais qui pourtant, dans leur ensemble, ne manquent pas de maintenir le cours uniforme et ininterrompu de la croissance des plantes, de l’écoulement des fleuves et de bien d’autres formations naturelles. Les hommes pris isolément et même des peuples entiers, ne songent guère au fait qu’en