En lisant Rimbaud
Ma Bohème
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot1 aussi devenait idéal2 ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal3 ;
Oh ! là là ! Que d’amours splendides j’ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse4.
Mes étoiles5 au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
1. paletot : manteau
2. devenait idéal : tombait en pièces
3. ton féal : ton serviteur
4. dormir « à la belle étoile »
5. danseuses de ballet (?)
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Extrait – Lettre à Paul Demeny (15 mai 1871)
« Donc le poète est vraiment voleur de feu1. […] Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! […] Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs2, de la pensée accrochant la pensée et tirant. »
1. Prométhée vole le feu aux Dieux pour le donner aux hommes
2. Allusion aux Correspondances de Baudelaire : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »