Etudiante
Pierre Levron
Mourir de mélancolie, mourir par la mélancolie. Quelques morts singulières dans la littérature romanesque et didactique du douzième et du treizième siècle
La littérature de la fin du moyen-âge n’est pas la seule à s’interroger sur les diverses manières de raconter la mort. Plusieurs textes littéraires du douzième et du treizième siècles font état des problèmes littéraires, moraux et philosophiques qu’elle pose. Cette période de la vie littéraire que l’on caractérise parfois par un « surgissement joyeux » justifié par le sentiment que tout est encore à dire ou à raconter (1) accorde une importance particulière à deux expériences angoissantes : la mort et la mélancolie. Si elles investissent largement le travail poétique, elles ne mobilisent absolument pas les mêmes choix discursifs : la mort est « revendiquée », au sens où elle apparaît littéralement dans les textes qui l’évoquent. Les troubadours, les trouvères et les romanciers utilisent le domaine notionnel et lexical de la mort, et peuvent lui consacrer des textes importants (2). La critique littéraire contemporaine a d’ailleurs décrit à plusieurs reprises les caractéristiques fondamentales de ce motif (3). La mélancolie, elle, suppose des choix narratifs et poétiques bien différents : les auteurs ne la « revendiquent » pas toujours, d’autant plus que les différences de sens entre les termes médiévaux de Melancolie ou de Melencolia et le vocable contemporain ne fournissent pas au lecteur contemporain des indices aussi sûrs qu’on ne pourrait le penser de prime abord (4). Les auteurs du moyen-âge central reproduisent dans leurs textes le caractère « invasif » de l’état d’âme en le faisant apparaître très fréquemment au cœur d’expériences psychiques très diverses (5). Le clivage entre la mort et la mélancolie concerne également leurs définitions morales : alors qu’il est naturel de mourir, être mélancolique est toujours une contravention grave à la nature « positive » des personnages