Eugenie grandet
Texte 1 : Honoré de Balzac, Eugénie Grandet (1833)
Une partie de loto est organisée pour les 23 ans d'Eugénie, la fille du tonnelier[1] Grandet, immensément riche et avare.
|1 | À huit heures et demie du soir, deux tables étaient dressées. La jolie madame des Grassins avait réussi à mettre son fils[2] à côté d’Eugénie. |
| |Les acteurs de cette scène pleine d’intérêt, quoique vulgaire en apparence, munis de cartons bariolés, chiffrés, et de jetons en verre bleu, |
| |semblaient écouter les plaisanteries du vieux notaire, qui ne tirait pas un numéro sans faire une remarque ; mais tous pensaient aux millions de |
| |monsieur Grandet. Le vieux tonnelier contemplait vaniteusement les plumes roses, la toilette fraîche de madame des Grassins, la tête martiale du |
|5 |banquier, celle d’Adolphe, le président, l’abbé, le notaire, et se disait intérieurement : « Ils sont là pour mes écus. Ils viennent s’ennuyer ici |
| |pour ma fille. Hé ! ma fille ne sera ni pour les uns ni pour les autres, et tous ces gens-là me servent de harpons pour pêcher ! » |
| |Cette gaieté de famille, dans ce vieux salon gris, mal éclairé par deux chandelles ; ces rires, accompagnés par le bruit du rouet de la grande |
| |Nanon[3], et qui n’étaient sincères que sur les lèvres d’Eugénie ou de sa mère ; cette petitesse jointe à de si grands intérêts ; cette jeune fille |
| |qui, semblable à ces oiseaux victimes du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, se trouvait traquée, serrée par des preuves d’amitié dont |
|10 |elle était la dupe ; tout contribuait à rendre cette scène tristement comique. N’est-ce pas d’ailleurs une scène de tous les temps et de tous les |
| |lieux, mais ramenée à sa plus simple expression ? La figure de Grandet exploitant le faux attachement des