La philosophie ne peut tenter de définir l’Etre sans fixer du même coup le statut de la connaissance, c’est-à-dire sans préciser de quelle manière l’Etre s’offre -ou se refuse- à la pensée humaine. Toute la philosophie est donc la traduction d’une certaine expérience de l’Etre, de la relation originaire que la subjectivité soutient avec l’Etre et qui peut se révéler positive ou négative. La thèse de Nietzsche à ce sujet est que l’Etre est toujours et nécessairement Etre interprété. Dès la Naissance de la tragédie, Nietzsche affirme que la connaissance est, par nature, inapte à cerner l’Etre car l’Etre n’est pour nous qu’un concept vide, un signe purement formel qui nous sert à noter des liaisons entre les phénomènes et n’a ainsi qu’une valeur pragmatique.

Cette thèse vise à ruiner la doctrine métaphysique de la connaissance absolue, i.e. une connaissance qui concernerait un " en-soi " substantiel et permanent (alors que le monde est succession) Il s’agit pour lui de renverser la conception traditionnelle de l’Etre et du connaître : la connaissance, traitée comme l’acte d’un pur sujet contemplatif, d’un ego non situé(Descartes) ou d’un Ich denke [1]transcendantal (Kant), ou encore d’un noùs [2] dont le regard éclairerait un domaine de pures Essences (Platon) ; cette connaissance-là est une fiction, de même que l’ " être " réduit à un substratum intelligible placé au-delà des apparences et du devenir, est une fable de l’Idéalisme. Cet " être " n’est que " la dernière ivresse de la réalité qui s’évapore " [3] Il ne s’agit pas pour Nietzsche de disqualifier l’Etre mais seulement cet " être " momifié que sacralise l’Idéalisme métaphysique en le dotant de tous les prédicats qui en font l’adversaire de la vie et du devenir (donc en font un néant). L’Etre authentique est un processus, un devenir. Il s’agit, dans la pensée, d’être prêt à accueillir avec innocence toutes les sollicitations du réel et à laisser s’épancher la profusion de l’Etre. " Des logiciens fanatiques