Extrait acte 1 scene 4, la double inconstance de marivaux
TRIVELIN
Mais, Madame, écoutez-moi.
SILVIA
Vous m’ennuyez.
TRIVELIN
Ne faut-il pas être raisonnable ?
SILVIA, impatiente.
Non, il ne faut point l’être, et je ne le serai point.
TRIVELIN
Cependant…
SILVIA, avec colère.
Cependant, je ne veux point avoir de raison ; et quand vous recommenceriez cinquante fois votre cependant, je n’en veux point avoir : que ferez-vous là ?
TRIVELIN
Vous avez soupé hier si légèrement, que vous serez malade si vous ne prenez rien ce matin.
SILVIA
Et moi, je hais la santé, et je suis bien aise d’être malade. Ainsi, vous n’avez qu’à renvoyer tout ce qu’on m’apporte ; car je ne veux aujourd’hui ni déjeuner, ni dîner, ni souper ; demain la même chose ; je ne veux qu’être fâchée, vous haïr tous tant que vous êtes, jusqu’à tant que j’aie vu Arlequin, dont on m’a séparée. Voilà mes petites résolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n’avez qu’à me prêcher d’être plus raisonnable. Cela sera bientôt fait.
TRIVELIN
Ma foi, je ne m’y jouerai pas, je vois bien que vous me tiendriez parole. Si j’osais cependant…
SILVIA, plus en colère.
Eh bien ! ne voilà-t-il pas encore un cependant ?
TRIVELIN
En vérité, je vous demande pardon, celui-là m’est échappé, mais je n’en dirai plus, je me corrigerai ; je vous prierai seulement de considérer…
SILVIA
Oh ! vous ne vous corrigez pas ; voilà des considérations qui ne me conviennent point non plus.
TRIVELIN, continuant.
… que c’est votre Souverain qui vous aime.
SILVIA
Je ne l’empêche pas, il est le maître ; mais faut-il que je l’aime, moi ? Non ; et il ne le faut pas, parce que je ne le puis pas : cela va tout seul, un enfant le verrait, et vous ne le voyez pas.
TRIVELIN
Songez que c’est sur vous qu’il fait tomber le choix qu’il doit faire d’une épouse entre ses sujettes.
SILVIA
Qui est-ce qui lui a dit de me