Extraits guillebaud - winock
Jean-Claude Guillebaud
Au-delà des clowneries
Tâchons d'être plus précis. Lorsqu'on parle du dualisme dont il est urgent de sortir, on pense en premier lieu à ces oppositions théâtrales autant qu'idiotes qui, dans le discours ambiant, prétendent dresser Dieu contre la science, le savant contre le philosophe, la raison contre la religion, la technologie contre la poésie et la logique contre le sentiment. Bon nombre de pseudo-analyses, d'innombrables livres, des milliers d'articles ou couvertures de magazines consacrés à la science ne font que remettre inlassablement en scène, et rejouer sous toutes les variantes possibles, ce combat de loup-garous. La réflexion sur la "science et ses ennemis" se ramène trop souvent à ces clowneries. Technophiles à droite, technophobes à gauche ; le pape d'un côté, Galilée de l'autre : que le match commence !
Par-delà ses aspects drolatiques, ce jeu à l'inconvénient de laisser accroire aux citoyens qu'ils n'ont plus d'autres choix que d'accepter la technoscience telle qu'elle est ou de la rejeter; s'extasier devant les réalisation admirables de la technologie moderne ou invoquer le spectre de Frankenstein en se tordant les mains. C'est beaucoup de temps perdu. N'insistons pas.
Le même dualisme, hélas, prend parfois une allure autrement intimidante parce que plus réfléchie On s'en rend compte lorsqu'on met en miroir deux crispation opposées. Chaque camp a tendance, en effet, à se faire plus impérieux et plus sour lorsqu'il se sent attaqué.
Pour les "sciences dures" et de l'économie marchande, la tentation est forte d'étendre sans cesse leur territoire au point d'avaler littéralement le social en le retransformant. C'est ce qui se passe avec la technologisation et la marchandisation insidieuse des rapports humains, dont on a vu qu'elles progressaient sans cesse. Comme le dit un psychanalyste : "tout devient quantifiable, mesurable, évaluable dans ces rapports.