Fabliau
La vieille qui graissa la patte au chevalier
Une vieille femme ne possédait à elle en tout et pour tout que deux vaches. C’est peu sans doute mais c’était beaucoup pour elle. Elle vivait de leur lait.
Un jour hélas les deux vaches, mal attachées, se sauvèrent ensemble ; le prévôt[1] les trouva qui vagabondaient toutes seules en dehors du communal[2] et il les emmena purement et simplement.
La vieille l’apprend, elle veut récupérer ses bêtes. Mais le prévôt ne veut rien savoir, alors même que la vieille accepte de payer l’amende : il n’a pas la preuve que les vaches sont bien à elle, dit-il !
Pauvre vieille ! Elle s’en retourne toute triste. Elle explique à sa voisine ce qui lui arrive. « Eh ! je comprends, dit la voisine. Ces gens-là veulent toujours qu’on leur graisse la patte et ils s’entendent comme larrons en foire. Si tu arrives à graisser la patte au chevalier, il parlera au prévôt et on le croira lui. Le prévôt te rendra tes vaches. »
La vieille rentre chez elle, elle est décidée. Elle prend un bon morceau de lard, elle attend le chevalier devant sa grande maison tout le temps qu’il faut. Lorsqu’il arrive, lorsqu’elle est sûre que c’est lui, là-bas, devant elle, qui pérore[3] avec ses courtisans, les mains derrière le dos, elle s’approche doucement sans se faire voir et lui graisse largement les paumes. Le chevalier se retourne, il voit la vieille :
« Mais qu’est-ce que tu fais là, bonne femme ?
- Sire, je vous graisse la patte pour ravoir mes vaches, vous savez, les deux vaches qui s’étaient égaillées[4]. Elles sont à moi. »
Le chevalier n’est pas un mauvais homme, il éclate de rire :
- Ah ! la brave vieille, dit-il. Tu n’as pas bien compris mais ça ne fait rien. Tu auras tes vaches, je te le promets. »
L’histoire finit bien, mais elle vous rappelle quelque chose que vous avez déjà remarqué, probablement. Même pour qu’on reconnaisse ses droits, le pauvre doit souvent