Faut-il craindre le regard d'autrui (intro et 1ere partie)
Introduction
« Ne me regarde pas comme ça, je sens le poids de ton regard ». Étrange expression, où l’immatériel (la direction d’un œil, la réalité d’un regard) se voit attribuer un poids, c’est-à-dire une unité de mesure matérielle! Si le regard « pèse », c’est que l’on signifie qu’il est capable de produire un effet concert, bien réel, sur nous. Nous sommes en effet parfois « foudroyés » du regard. D’où l’idée que le regard pourrait être source de violence : autrui, qui est pourtant un autre moi-même, semble avoir le pouvoir de menacer ce qui constitue notre intégrité, par le simple effet d’un regard.
En ce sens nous pouvons nous demander si la crainte ne devient pas une réaction naturelle nécessaire pour se protéger du regard d’autrui. La crainte, en effet, est un sentiment, d’appréhension qui inhibe nos actions. Mais se pose alors le problème –moral- de savoir s’il est légitime de fonder ainsi nos rapports avec autrui sur la peur. La crainte est-elle une réaction nécessaire et naturelle pour nous protéger du regard de l’autre, ou est-elle une réaction dangereuse qui met en péril nos rapports avec autrui ? Comment créer avec l’autre un monde commun : est-on condamné à rester enfermé dans notre subjectivité ?
Dans un premier temps, nous verrons qu’il faut craindre le regard de l’autre pour préserver notre intégrité, puis dans un deuxième moment qu’on ne doit pas vivre dans la crainte de l’autre. Enfin nous nous demanderons s’il est possible de créer un rapport à l’autre fondé sur la confiance.
I) Le regard de l’autre constitue une menace pour notre intégrité
Essayons pour commencer de saisir ce qui fait la particularité du regard humain. On dit communément qu’un regard est lourd de sens, il contient une multitude de choses ; à l’inverse, un regard « vide » ne regarde rien, il ne remplit pas sa fonction de regard. Qu’y a-t-il donc de particulier dans un regard ? Il semble que le regard soit avant tout une