Faut-il s'entendre pour faire société ?
Ces points de vue ont leurs difficultés propres : une première difficulté provient de ce que toutes les pratiques sociales n'ont pas nécessairement la société pour objet, mais plutôt comme horizon préalable, comme cette « présence indéterminée » dont parle Bergson lorsqu'il s'interroge dans le premier chapitre des Deux sources... sur le fondement de l'obligation : des pratiques sportives ou religieuses par exemple sont sociales, mais il ne s'agit pas de « faire société » dans un sport ou dans un culte... on pourrait dire qu'une société « se fait » plutôt en eux, au sens où ces pratiques en sont les images. Quelle idée de la société en tant qu'objet d'un certain « faire », devons nous alors former ? L'autre difficulté provient de ce que les modalités de l'entente mutuelle sont multiples : celle-ci peut varier de la compréhension mutuelle à la convenance affective et elle passe par divers seuils. Or même si nous disons que le fait d'avoir la même langue est la condition minimale de l'entente, nous sommes obligés d'ajouter qu'il l'est tout autant de la mésentente, du malentendu, de la méprise etc. Nous devons par conséquent nous garder d'identifier l'entente et l'accord en tous points, car une dispute n'est possible que si les mots, les gestes, les exclamations... ont même signification et valeur chez les adversaires, de sorte qu'il est impossible de se combattre sans cette entente minimale. Il se peut très bien même (comme le montre l'exemple donné par Thoreau dans son texte sur la Désobéissance civile) que l'on refuse de « faire société » avec des gens dont on entend que trop bien ce qu'ils ont l'intention de faire (en l'occurrence restituer les esclaves fugitifs à leur maître) et auxquels on veut alors faire entendre