Eloge du pantagruélion
Sans cette herbe, les cuisines seraient ignobles, les tables détestables, même si elles étaient couvertes de toutes sortes de mets exquis ; les lits seraient sans délices, même si on y trouvait en abondance or, argent, ambre, ivoire et porphyre.
Sans elle, les meuniers ne porteraient pas de blé au moulin, et n'en rapporteraient pas de farine.
Sans elle, comment seraient portés les plaidoyers des avocats à l'audience ? Comment serait, sans elle, porté le plâtre à l'atelier ? Sans elle, comment serait tirée l'eau du puits ? Sans elle, que feraient les tabellions, les copistes, les secrétaires et les scribes ? Est-ce que ne périraient pas les chartes et les titres de rente ? Le noble art d'imprimerie ne périrait-il pas ? [...]
Par elle les bottes, bottines, bottillons, houseaux, brodequins, souliers, escarpins, pantoufles, savates sont mis en forme et en usage. Par elle les arcs sont tendus, les arbalètes bandées, les frondes fabriquées. Et, comme si c'était une herbe sacrée, magique comme la verveine, et tenant en respect les Mânes et les Lémures, on ne se passe pas d'elle pour inhumer les corps humains.
Je dirai plus : au moyen de cette herbe, les substances invisibles sont visiblement saisies, prises, retenues et comme mises en prison : grâce à cette prise et à cette saisie, les grosses et pesantes meules sont tournées agilement pour le profit insigne de la vie humaine. Et je m'ébahis de ce que l'invention d'une telle pratique ait été pendant tant de siècles cachée aux antiques philosophes, étant donné l'utilité inappréciable qui en provient, étant donné la fatigue intolérable que les hommes supporteraient sans elle dans leurs moulins.
Au moyen de cette herbe, puisqu'elle permet de retenir les flots de l'air, les gros navires de charge, les grands paquebots, les forts galions, les nefs à mille et dix mille places, sont arrachés à leur mouillage et poussés au gré de ceux qui les gouvernent.
Par le moyen de cette herbe, les