Fiction : instrument ou obstacle ?
Du latin fictus de fingere (forger par l’imagination des être inexistants), la fiction désigne l’action de feindre, et Littré rappelle que feindre c’est « produire ce qui n’est pas », à ne pas confondre avec dissimuler, qui est cacher « ce qui est ». A première vue, la philosophie et la fiction s’opposent. La philosophie, par sa recherche de la vérité, paraît devoir se rapprocher de la science et viser la réalité, tandis que la fiction provenant d’idées forgées par l’imagination, ne semble aucunement être révélatrice d’une quelconque vérité. La critique des représentations fictives semble donc une exigence de la philosophie, au sens où celle ci est une exigence de vérité, un refus de l’illusion. Ce geste avait déjà été celui de Platon lorsqu’il désignait la fiction comme le degré de connaissance le plus faible, comme l’imitation du sensible, qui n’est lui même déjà qu’une ombre de l’intelligible. La fiction, comme l’explicite l’Allégorie de la caverne, nous fait prendre des chimères pour des réalités : c’est la raison pour laquelle Platon préconise l’exclusion des poètes de la Cité. Il semblerait alors de prime abord que la fiction est nécessairement un obstacle à l’exercice de la philosophie : une fausse représentation du réel qui empêche sa compréhension plutôt que de la permettre. Mais ce qui est fictif n’est pas nécessairement dénué de sens, puisque l’imaginaire peut illustrer, soutenir ou participer de la construction d’une thèse philosophique. Platon lui-même a souvent recours au mythe pour illustrer ce que la pensée ne peut pas saisir totalement. Rousseau élabore la fiction théorique de l’état de nature pour élucider la nature de l’homme indépendamment de ce que la société a fait de lui, et mieux comprendre le sens de l’état civil. La solution initiale de la fiction comme obstacle s’opacifie donc sitôt que l’on considère que la fiction, par sa construction imaginative devient un instrument