Fin de partie
Plusieurs pièces de Beckett, y compris Fin de partie, sont entrées au répertoire de la Comédie française. L’écrivain irlandais, dont le théâtre d’avant-garde a fait scandale et partagé le public à ses débuts, semble ainsi être devenu un classique. Pourtant le texte et la dramaturgie d’une pièce comme Fin de partie demeurent dérangeantes, même pour un public du XXIe siècle. Déranger, c’est susciter un malaise, un inconfort, ébranler des habitudes et des convictions : c’est le propre de la plupart des esthétiques de la modernité. En quoi Beckett, avec Fin de partie, est-il particulièrement dérangeant ? Nous montrerons qu’il s’agit d’une pièce qui peut gêner le spectateur d’un point de vue à la fois esthétique, moral et intellectuel.
I. Fin de partie propose une esthétique dérangeante
[Il y a beaucoup de choses à dire dans une telle partie : il faut donc faire des choix, qui peuvent être différents des suggestions données ci-dessous, mais il est important de bien expliquer sur quoi reposent les spécificités esthétiques de la pièce, sans se contenter de jugements vagues du type : c’est étrange, bizarre, etc.]
A. L’amenuisement de l’action et de l’intrigue
- Le théâtre occidental est marqué par la conception aristotélicienne qui considère que le propre de la dramaturgie est de représenter le déroulement d’une action (drama = action en grec).
- Or, chez Beckett, la temporalité floue (absence de repères datables, indétermination des indications temporelles : « un jour », « bientôt », « pas encore », « depuis toujours »…, sentiment de répétition : « tous les jours », « c’est toujours la même chose »…), le caractère répétitif et souvent absurde des actions montrées sur scène (va et vient de Clov, tentative de s’embrasser alors qu’ils savent que c’est impossible par Nell et Nagg, composition circulaire de la pièce qui se clôt sur une image rappelant l’ouverture, etc.), le