Flaubert Bouvard Et P Cuchet 1881 Chapitre IV
Une telle œuvre semblait exécutable à Pécuchet.
— Veux-tu que nous essayions de composer une histoire ?
— Je ne demande pas mieux ! Mais laquelle ?
— Effectivement, laquelle ?
Bouvard s’était assis, Pécuchet marchait de long en large dans le musée. Quand le pot à beurre frappa ses yeux, et s’arrêtant tout à coup :
— Si nous écrivions la vie du duc d’Angoulême ?
— Mais c’était un imbécile ! répliqua Bouvard.
— Qu’importe ! les personnages du second plan ont parfois une influence énorme, et celui-là peutêtre tenait le rouage des affaires.
Les livres leur donneraient des renseignements, et M. de Faverges en possédait sans doute par luimême ou par de vieux gentilshommes de ses amis.
Ils méditèrent ce projet, le débattirent, et résolurent enfin de passer quinze jours à la bibliothèque municipale de Caen pour y faire des recherches.
Le bibliothécaire mit à leur disposition des histoires générales et des brochures, avec une lithographie coloriée représentant de trois quarts M gr le duc d’Angoulême.
Le drap bleu de son habit d’uniforme disparaissait sous les épaulettes, les crachats et le grand cordon rouge de la Légion d’honneur. Un collet extrêmement haut enfermait son long cou. Sa tête piriforme était encadrée par les frisons de sa chevelure et de ses minces favoris, et de lourdes paupières, un nez très fort et de grosses lèvres donnaient à sa figure une expression de bonté insignifiante. Quand ils eurent pris des notes, ils rédigèrent un programme :
Naissance et enfance peu curieuses. Un de ses gouverneurs est l’abbé Guénée, l’ennemi de Voltaire. À
Turin, on lui fait fondre un canon, et il étudie les campagnes de Charles VIII. Aussi, est-il nommé, malgré sa jeunesse, colonel d’un régiment de gardes-nobles.
1797. Son mariage.
1814. Les Anglais s’emparent de Bordeaux. Il