Flaubert maitre
Un ancêtre malgré lui L’héritage de Flaubert, particulièrement riche, implique un certain nombre de paradoxes et peut être abordé sous plusieurs aspects. Tout d’abord, celui de la biographie, destinée à s’effacer derrière l’œuvre littéraire : l’écrivain, qui a refusé la paternité, a engendré plusieurs fils spirituels, sans parler des fils naturels que lui attribue une légende entrée dans l’histoire littéraire. La postérité de l’œuvre flaubertienne suit le même itinéraire. Le romancier, qui n’a jamais caché son hostilité à l’égard des critiques (classe de parasites dans la République aristocratique des Lettres), est devenu une référence obligée pour nombre de critiques représentant des tendances et des présupposés idéologiques variés. Vers la fin de sa vie, Flaubert n’a cessé de protester contre les nouvelles écoles littéraires qui, s’appropriant son œuvre, l’érigeaient contre son gré au rang de maître1. L’écrivain, qui se figurait volontiers en ermite, a fini par prêcher dans le désert : la postérité reste sourde à ses grognements et à son indignation ; son nom sera accaparé par une série de mouvements et de tendances artistiques tout au long du vingtième siècle. Une habile sélection de textes, présentant les diverses approches de l’œuvre flaubertienne, pourrait constituer une anthologie des grands courants de la critique littéraire, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe. Chaque période, chaque tendance semble façonner sa propre image de Flaubert. Écrivain déchiré entre romantisme et réalisme, romantique effréné, naturaliste ou positiviste sans cœur, sadique, nihiliste, décadent et pervers, artiste moderne (par excellence) ou post-moderne (par excellence), précurseur du Nouveau roman et du Nouveau nouveau roman (car, visiblement, les héritiers ont du mal à renchérir sur la longévité de leur ancêtre), ce romancier aux multiples visages a reçu de multiples étiquettes, mais ne s’est jamais laissé enfermer dans ces