Forme, style et genre littéraire
1. Introduction : forme, style et genre littéraire Je commencerai par vous raconter une histoire. C'est celle du « soldat de Baltimore ». Stendhal la relate dans Racine et Shakespeare en 1823, et elle est alors toute récente. Je cite Stendhal :
L'année dernière (août 1822), le soldat qui était en faction dans l'intérieur du théâtre de Baltimore, voyant Othello qui, au cinquième acte de la tragédie de ce nom, allait tuer Desdemona, s'écria : « Il ne sera jamais dit qu'en ma présence un maudit nègre aura tué une femme blanche. » Au même moment le soldat tire son coup de fusil, et casse un bras à l'acteur qui faisait Othello. C'est une histoire très riche, qui plaisait beaucoup à Roland Barthes, de qui je la tiens. J'en ai seulement retrouvé la source récemment. Elle intéressait Stendhal dans le cadre d'une réflexion sur l'illusion, et elle illustrait à ses yeux « l'illusion parfaite ». Pour Barthes, cette histoire témoignait de ce que le réalisme aurait dû être pour être réellement réaliste. Mesurée à la réaction du soldat de Baltimore, le comportement du lecteur de roman le plus passionné - ou de la lectrice : pensez cette fois au modèle de Mme Bovary - paraît bien timoré. Ici, ce que le soldat de Baltimore introduit, c'est l'idée de convention littéraire. La littérature, comme tout discours suppose, des conventions, et la première de ces conventions, c'est qu'il s'agit de littérature. Le soldat de Baltimore n'était jamais entré dans un théâtre, il n'avait jamais vu une pièce de théâtre, il ne savait pas à quoi s'attendre. La littérature est une attente. Entrer en littérature, comme lecteur ou comme spectateur, mais aussi comme auteur, c'est intégrer un système d'attentes. La première, au sens de la plus fréquemment sollicitée par l'oeuvre littéraire, c'est l'attente de fiction, la willing suspension of disbelief, la suspension volontaire de l'incrédulité, ainsi que l'appelait Coleridge. Mais elle