La tutelle, une affaire d’argent
Intervention de Jean Beaujouan Journées d’étude de l’IRTS de Franche Comté : « La tutelle, protection ou sanction ? » Besançon, 2 au 4 mai 2005

Résumé Ce texte présente l’argent à travers les différents regards (économique, psychologique, sociologique, historique, moral) qu’on peut poser sur lui. Il analyse (p. 8 à 13) la situation particulière créée par la mise sous tutelle de certaines personnes considérées par la Société comme incapables d’administrer leurs biens ou certains de leurs revenus (ex. allocations sociales) : comment est-elle vécue par les acteurs concernés (la personne sous tutelle, sa famille, le tuteur, la Société) ? Quels sont les enjeux sociaux et psychologiques de cette relation, qui peut être considérée tant comme une protection que comme une sanction ? Il explore la problématique spécifique liée à l’argent dans la tutelle, et la question d’une hypothétique « (ré)éducation » de certaines personnes sous tutelle à la bonne gestion de leurs affaires d’argent.

1.

L’argent, un objet social bizarre et complexe

« L’argent, c’est de la liberté frappée » a écrit Dostoievski. Frappée au sens de monnaie frappée, comme on dit « battre monnaie », c’est-à-dire apposer sur une pièce de monnaie un sceau officiel qui en garantit la valeur. Pour sa part, Marx est beaucoup plus réaliste, ou plus prudent, à propos de la détention d’un patrimoine, lorsqu’il pose la question : « Est-ce le paysan qui possède la terre, ou la terre qui possède le paysan ? ». On pourrait traduire aujourd’hui : « Est-ce nous qui possédons notre argent, ou notre argent qui nous possède ? » Deux façons d’envisager la question des liens existant entre l’argent et la liberté, et donc d’introduire ma contribution à votre réflexion sur la tutelle, qui porte sur des affaires d’argent, dans un contexte de privation de liberté pour la personne sous tutelle. Qu’en est-il de la place de l’argent dans la tutelle ? Et d’abord, quelle est la nature de cet