Fran ais Texte Essai sur les R volutions
CHATEAUBRIAND
Chapitre 25
Au même instant mille guillotines sanglantes s'élèvent à la fois dans toutes les cités et dans tous les villages de la France. Au bruit du canon et des tambours, le citoyen est réveillé en sursaut au milieu de la nuit, et reçoit l'ordre de partir pour l'armée. Frappé comme de la foudre, il ne sait s'il veille: il hésite, il regarde autour de lui, il aperçoit les têtes pâles et les troncs hideux des malheureux qui n'avaient peut être refusé de marcher à la première sommation que pour dire un dernier adieu à leur famille ! Que fera-t-il ? Où sont les chefs auxquels il puisse se réunir pour éviter la réquisition [J'ai déjà dit que l'idée des réquisitions vient de Sparte. Tous les citoyens étaient obligés de servir depuis l'âge de vingt ans jusqu'à soixante. Dans le cas d'urgence, les rois et les éphores pouvaient mettre les chevaux, les esclaves, les chariots, etc., en réquisition. (Voyez Plutarque et Xénophon.) - (N.d.A. Édition de 1797)] Chacun, pris séparément, se voit privé de toute défense. D'un côté, la mort assurée; de l'autre, des troupes de volontaires qui, fuyant la famine, la persécution et l'intolérance de l'intérieur, vont chercher dans les armées, ivres de vin, de chansons [Les hymnes de Tyrtée à Sparte; ceux de Lebrun et de Chénier en France. (N.d.A. Édition de 1797)] et de jeunesse, du pain et la liberté. Ce citoyen, la guillotine sous les yeux, et ne trouvant qu'un seul asile, part le désespoir dans le cœur. Bientôt, rendu aux frontières, la nécessité de défendre sa vie, le courage naturel aux Français, l'inconstance et l'enthousiasme dont son caractère est susceptible, la paye considérable [La paye est de trop: souvent les soldats républicains étaient sans paye et sans vêtements. Les fortunes militaires n'ont commencé que sous l'empire. (N.d.A. Édition de 1826)], la nourriture abondante, le tumulte, les dangers de la vie militaire, les femmes, le vin, et sa gaîté native, lui font oublier