Francais
La Princesse de Clèves (1678)
A la séparation…
M. De Clèves est mort, de douleur et de dépit, se croyant, à tort, trompé par son épouse. Mme de Clèves reçoit ici pour une dernière fois M. de Nemours qu’elle aime et dont elle est aimée. Elle exprime les raisons qui lui font refuser de l’épouser. Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher. Il y en a peu qui à qui vous ne plaisiez pas ; mon expérience me ferait croire qu’il n’y en a point à qui vous ne puissiez plaire. Je vous croirais toujours mon amoureux et aimé et je ne me tromperais pas souvent. Dans cet état néanmoins, je n’aurais d’autre parti à prendre que celui de la souffrance ; je ne sais même pas si 5 j’oserais me plaindre. On fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n’a (qu’) à lui reprocher de n’avoir plus d’amour ? Quand je pourrais m’accoutumer à cette sorte de malheur, pourrais-je m’accoutumer à celui de voir toujours M. de Clèves vous accuser de sa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la différence de son attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des raisons si forte : il faut que je demeure dans l’état où je suis et dans les résolutions que j’ai prises de n’en sortir jamais.
- Hé ! Croyez-vous le pouvoir, Madame ? s'écria monsieur de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore, et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, Madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime. Vous l'avez fait par une vertu austère, qui n'a presque point d'exemple; mais cette vertu ne s'oppose plus à vos sentiments, et j'espère que vous les suivrez malgré vous.
- Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua madame de Clèves; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monsieur de