Freud_Malaise_dans_la_civilisation
Sigmund FREUD
Das Unbehagen in der Kultur, Vienne, 1929
Traduit de l'Allemand par CH. et J. ODIER,
Revue française de psychanalyse en 1934. t. VII, n˚ 4, 1934 et t. XXXIV, n˚ 1, 1970.
Le texte de cette traduction est libre de droits. La numérisation et la mise en page a été effectuée par Jean-Luc Derrien pour le site http://www.caute.lautre.net/. Merci de conserver cette mention avec toute diffusion du texte.
I
On ne peut se défendre de l'impression que les hommes se trompent généralement dans leurs évaluations. Tandis qu'ils s'efforcent d'acquérir à leur profit la jouissance, le succès ou la richesse, ou qu'ils les admirent chez autrui, ils sous-estiment en revanche les vraies valeurs de la vie. Mais sitôt qu'on porte un jugement d'un ordre aussi général, on s'expose au danger d'oublier la grande diversité que présentent les êtres et les âmes. Une époque peut ne pas se refuser à honorer de grands hommes, bien que leur célébrité soit due à des qualités et des oeuvres totalement étrangères aux objectifs et aux idéals de la masse. On admettra volontiers, toutefois, que seule une minorité sait les reconnaître, alors que la grande majorité les ignore. Mais, étant donné que les pensées des hommes ne s'accordent pas avec leurs actes, en raison au surplus de la multiplicité de leurs désirs instinctifs, les choses ne sauraient être aussi simples.
L'un de ces hommes éminents se déclare dans ses lettres mon ami. Je lui avais adressé le petit livre où je traite la religion d'illusion ; il me répondit qu'il serait entièrement d'accord avec moi s'il ne devait regretter que je n'eusse tenu aucun compte de la source réelle de la religiosité. Celle-ci résiderait, à ses yeux, dans un sentiment particulier dont lui-même était constamment animé, dont beaucoup d'autres lui avaient confirmé la réalité, dont enfin il était en droit de supposer l'existence chez des millions d'êtres humains. Ce sentiment, il